Avant de partir pour Paris, ma grand-mère maternelle m'avait remis les coordonnées d'une de ses bonnes amies d'enfance qui habitait en région parisienne. Elle voulait que je la rencontre éventuellement lors de mon séjour. Après plus de neuf mois à s'appeler mutuellement pour se fixer une date, j'ai réussi à la voir samedi dernier. Pour la première fois depuis belle lurette, je n'avais pas de Couchsurfer chez moi la fin de semaine et je n'étais pas parti en voyage.
Elle m'invite donc d'aller dîner (déjeuner pour les Français... je ne m'habituerai jamais à employer ce terme, car je le juge inapproprié. Nous ne sommes plus à l'époque de Louis XIV qui déjeunait effectivement à midi, car il était un lève-tard. Le terme "petit-déjeuner" est apparu pour désigner le repas des gens du peuple qui devaient se lever tôt et devaient ainsi s'alimenter en attendant que le roi décide de se lever et manger. De plus, le "souper" était également un repas de "paysan", car jamais le roi allait descendre au niveau du peuple et manger une chose aussi peu délicate et fine qu'une soupe. Bref, comme la monarchie française est tombée depuis longtemps, et que la plupart des gens mangent le matin pour "cesser le jeûne", j'opte pour le retour des bons mots avec les bonnes définitions! Fin de la parenthèse).
Donc, elle m'invite à dîner. Dans la voiture, elle me décrit le menu: une soupe aux œufs et aux asperges, du riz, des travers de porcs au caramel, une salade, des fruits, et des pâtisseries. Bref, un mélange vietnamien et occidental.
Le repas est très bon et me rappelle plusieurs souvenirs. Quand elle m'a servi des oignons verts (souvent confondus avec des échalotes) marinant dans l'huile fraîche, j'ai souri en pensant que j'ai passé une bonne partie de ma vie à mettre ce condiment sur tout (surtout sur des oeufs, ou avec du bi, une recette vietnamienne composée de porc rôti et d'ail et d'autres ingrédients qui me sont encore inconnus à ce jour). Elle m'a demandé si je connaissais ça. Ou plutôt, elle m'a demandé si je savais le manger.
Là, j'ai pensé à une réflexion que mon frère faisait souvent quand on mangeait en famille concernant cette expression "savoir manger (quelque chose)". Ma compréhension de cela a toujours été "es-tu capable d'en manger?", car le goût est quelque chose qui s'acquiert, qui s'apprend. Combien d'entre nous trouvions dégueulasse les épinards, par exemple, étant plus jeunes, mais qu'aujourd'hui, nous n'avons aucune difficulté... On aurait donc "appris à connaître" l'aliment, à "savoir" comme le savourer.
Autre que les conversations sur la famille, ce que je fais en France, de sa vie (et celle de ma grand-mère) à Saigon (toujours incapable de dire Hô-Chi-Minh-Ville... mes parents m'ont toujours appris à dire Saigon, et à dessiner le drapeau vietnamien avec des rayures jaunes et rouges, et non avec l'étoile jaune sur fond rouge), une partie des discussions portaient sur la nourriture. Ceci ne m'étonne pas, car j'ai grandi avec une mère et des tantes et une grand-mère qui ne me demandaient rarement directement la question si j'allais bien, mais en la posant en me demandant si j'avais bien mangé ou si j'avais faim. Je me demande si parler d'appétit et de nourriture, c'est un peu comme la météo au Québec, sujet de prédilection pour amorcer une conversation... L'un des sujets fût: existe-il de bons restaurants vietnamiens qui font du "pho" (soupe tonkinoise) de bonne qualité et à un prix raisonnable en région parisienne? La réponse: pas vraiment.
Bref, j'ai passé un bon samedi après-midi en compagnie de cette dame et de son mari (86 ans et très en forme). Ils m'ont fait pratiqué mon vietnamien qui est dans un état au-delà du rouillé... Étonnamment, je comprenais presque tout, mais sortir les phrases de ma bouche, ça prenait une concentration incroyable à choisir les bons mots et les mettre dans le bon ordre grammatical. Dommage qu'on n'a pas pu se rencontrer avant...
Et pour finir, petite anecdote qu'elle m'a raconté en me montrant son jardin. Elle me pointait un coin où elle avait jadis installé un étang avec des poissons. Malheureusement, les chats du voisinage mangeaient constamment les poissons, et elle a dû le transformer en un coin de jardinage. J'ai trouvé ça mignon et triste en même temps...